Delphine de Girardin
Le lorgnon
Dans cette nouvelle fantastique de 1832, un lorgnon est tellement bien fait qu’il permet de lire les pensées de ceux que l’on regarde. On appréciera la subtilité et la richesse de ce vaudeville traitant de la grande affaire du mariage dans la société du XIXe siècle : amour, intérêt, considérations mondaines. L'intrigue se noue de méprises, de fausses confidences, d'erreurs de jugement, de digressions parfois centrales (...) avant un dénouement inévitablement heureux. (Madeleine Lassère)
Préface : Madeleine Lassère
Illustrations : Réunion des Musées Nationaux, Anne Buguet
Date de parution : 18 mai 2017
ISBN : 978-2-9558910-0-1
252 pages, broché, format 11x18
Prix : 19,50 €
Quatrième de couverture
Ainsi donc, que ces esprits sérieux qui ne voient dans l’apparition d’un livre qu’un auteur à juger et qui tiennent gravement le couteau d’ivoire suspendu sur son œuvre comme un glaive sur la victime ; que ceux-là, dis-je, n’entreprennent point la lecture de ce livre ! Il n’a point été écrit pour eux, ils ne le comprendraient pas. Il ne s’adresse qu’à ces imaginations paresseuses qui suivent avec complaisance les rêveries du poète, les merveilles d’un conte de fées ; qui n’analysent pas ce qui les fait rire ; qui ne se font pas un remords d’avoir compris un mot que le Dictionnaire de l’Académie n’a pas sanctionné ; qui nous savent bon gré de publier une Nouvelle sans prétention, sans nous croire auteur pour cela, sans la corriger, comme on envoie à son ami une lettre écrite à la hâte, et qu’on ne s’est pas donné la peine de relire, ni même de signer ; enfin à ces lecteurs spirituels et indulgents qui ont toujours un peu de reconnaissance pour le livre qui les a aidés à passer une heure d’attente entre une affaire et un plaisir, entre un adieu et un retour. Cette catégorie comprend les hommes qui s’ennuient et les femmes qui aiment, n’est-ce pas à peu près la moitié du monde ! (Delphine de Girardin)
A propos de l'auteur ...
Encouragée par sa mère, la poétesse Sophie Gay, Delphine Gay (1804-1855) publie très jeune de nombreux poèmes.
En 1831, elle épouse le journaliste Emile de Girardin et collabore dans La Presse, le quotidien qu’il fonde en 1836, avec des chroniques essentiellement culturelles, signées Le vicomte Charles de Launay. Outre son œuvre poétique et journalistique, Delphine de Girardin a aussi publié des romans, des contes pour enfants, des pièces de théâtre et trois nouvelles. Les éditions de la Reine Blanche ont publié en 2017 une édition augmentée de Le Lorgnon (1832), préfacée par Madeleine Lassère et illustrée par Anne Buguet.
©Réunion des Musées Nationaux
Extrait 1
Au moment de terminer ses voyages, Edgar avait rencontré au fond d’une petite ville de Bohême, un savant inconnu du monde, et d’autant plus instruit car il avait employé à son instruction le temps qu’on use d’ordinaire à la faire valoir. A la fois physicien, médecin, mécanicien, opticien, il était tout, excepté Bohémien.
Cet homme étonnant, à force d’étudier les diverses propriétés de la vue, les variantes qualités du cristal, les mystères de la myopie et tous les secrets de la science oculaire, était parvenu, après bien des années, bien des travaux, bien des veilles, après ces longs jours de découragement qui servent de repos à la science, et ces heures enivrantes où l’imagination s’enflamme aux premières lueurs d’une découverte… Après avoir plus d’une fois consulté le célèbre Gall et Lavater, après avoir endormi et réveillé plus d’un somnambule, il était parvenu, dis-je, à composer une sorte de verre si parfaitement harmonisé aux rayons visuels qui reproduisaient si fidèlement les moindres expressions de la physionomie, qui montrait d'une manière si merveilleuse ces détails imperceptibles, ces fugitives contractions de nos traits causés par les divers mouvements de l'âme, que l’œil, aidé de ce flambeau, pénétrait la pensée la plus profonde et traduisait pour ainsi dire la fausseté la plus intime. En un mot, le possesseur de cet antiprisme, de ce télescope moral, voyait aussi loin dans la pensée que l'astronome dans les cieux et, quel que fût le masque qui recouvrît votre visage, vous n'aviez, à travers ce cristal délateur, que la physionomie de vos véritables sentiments. (pp. 26-27)
Extrait 2
Tout en rêvant à sa nouvelle passion, Edgar alla se placer dans une embrasure de fenêtre pour l’admirer en silence. Mademoiselle d’Armilly, qui le suivait des yeux, vit de loin qu’il s’apprêtait à la lorgner attentivement et, donnant à sa physionomie toute la grâce de l’embarras, elle baissa les yeux. Jaloux de connaître l’impression qu’il avait faite sur elle, Edgar brûlait de lire dans son cœur. Mais hélas ! Voilà ce que cette âme si tendre pensait de lui en son esprit : « C’est le fils du duc de Lorville, il aura soixante mille livres de rente en se mariant. » Oh ! Quel amer désenchantement ! De son esprit, pas un mot ; de sa personne, pas un souvenir. En vain il avait été aimable, en vain il s’était réjoui d’être ce jour-là plus à son avantage ; on ne l’avait pas écouté, on ne l’avait pas regardé. Ce qu’on aimait de lui, c’était son vieux château de Lorville où il s’ennuyait tant. (p. 49)
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